Heures blanches

Heures blanches...
(Un parcours argentique entre 1972 et 2002)
(Pour voir la série en diaporama plein-écran, 
cliquer sur l'une de ces photographies...)




Heures blanches
Années 70…  sortir avec l’appareil photo et déambuler en ville dés qu’il fait beau. Regarder, saisir des évènements insignifiants comme cette petite pousse d’herbe qui a réussi à s’extraire d’une fissure dans l’asphalte, au pied d’un pilier métallique. Puis, lever les yeux pour observer ces murs ordinaires, déjà longés maintes fois. Photographier alors des frontons perdus dans les nuages…
Mais, à la sortie du labo, cela donnait alors des images fades, sans relief et sans contraste. Pourquoi un ciel aussi pur et limpide à la prise de vue devenait-il aussi plat et peu contrasté sur le tirage ? En réponse, on me suggère alors de mettre des filtres sur l’objectif. L’essai est concluant : effectivement, avec un filtre rouge, le ciel apparaît alors identique à la réalité, dense, avec des nuages aussi joufflus que ceux peints par Magritte.
 
Ce filtre rouge restera fixé sur l’objectif jusqu’à ma dernière photo argentique. Car, outre le relief apporté aux nuages, dés la prise de vue il me permet de voir dans le viseur l’image finale en noir et blanc…Ou plutôt un camaïeu rose qui, gommant les couleurs, me donne alors  l’impression d’être dans l’image, pour la composer avec précision en jouant avec les plages de gris. Cette possibilité d’éliminer immédiatement le « superflu » conduira à des images de plus en plus dépouillées, comme ces quasi-monochromes (parfois appelés « Pelles), partagés verticalement en deux surfaces identiques , le plein minéral et le vide de l’azur infini. Chaque fragment de mur s’assombrit vers le bas alors que le ciel, très clair sur l’horizon, est de plus en plus foncé quand le regard monte vers le zénith, en haut de l’image. Ainsi, la ligne de partage des plans disparaît par moment, à l’endroit où ces plans sont composés d’un gris identique. Devant le mur, in-situ,  je peux donc choisir la place de ce « point de fusion », en bas de l’image (comme pour la « Lune de Montessuy »), au milieu ou parfois en haut.

En 1986, lors des Rencontres arlésiennes, je fais la connaissance de Wolfram Janzer, un architecte/photographe vivant à Stuttgart. Très intéressé par mon port-folio, il m’affirme que mes photos lui rappelle vraiment ses propres recherches. Il évoque alors une exposition de Geneviève Asse qu’il vient de voir à Paris. Quand je découvre plus tard l’oeuvre de cette peintre bretonne, je constate effectivement qu’elle et moi, on parcourt d’une oeuvre à l’autre la même figure verticale partagée en deux. A plus grande échelle, les espaces de G. Asse sont composés de bleus subtils, alors que dans mes photos, ce sont des plages de gris qui sont délimités par la ligne de partage. Dans tous les cas, ces compositions presque abstraites révèlent des lumières captées pour construire des espaces de silence.

Plus tard, profitant d’un passage à Bologne, j’ai retrouvé ce silence dans les natures mortes de G.Morandi, au musée qui lui est consacré. J’apprécie également Rothko, Frédéric Benrath ou Barnett Newman. Chez Soulage, j’aime pouvoir immédiatement situer, à sa seule vue, une oeuvre dans son parcours, oeuvre de jeunesse ou plus tardive. Dans ce cas l’évolution de l’oeuvre traduit le parcours d’un artiste creusant obstinément son sillon toute sa vie, en trouvant à chaque pas une suite quand tout le monde est convaincu qu’il débouchera sur une impasse.

Mon musée imaginaire est ainsi  largement occupé par la peinture abstraite, alors que j’ai toujours été convaincu que le dessin constituait ma pratique de prédilection. De bonnes notes en dessin antique, à l’adolescence, à la maitrise des perspectives architecturales dans un cadre professionnel, j’ai toujours montré une aptitude certaine à reproduire fidèlement la réalité, avec l’impression cependant de ne pas arriver à y insuffler une vision personnelle originale. Paradoxalement, c’est la photographie, qui a pourtant la réputation de reproduire platement cette réalité, qui m’a permis d’exprimer un univers personnel. Je considère donc maintenant que je réalise des dessins avec un appareil photo. Même la présence du grain conforte cette impression picturale, alors qu’il est issu d’un choix de révélateur qui devait me permettre de tendre vers un processus le plus lent possible dans le labo. Cette place consacrée au temps était également prolongé par de longs moments passés à retoucher mes tirages, alors que la photographie exprime habituellement la vitesse (…Quand une photographie au 1/1000ème est tirée sur papier Ilfospeed).

Pour être bien équipé, on m’avait également conseillé d’avoir trois objectifs : un grand angle, une focale moyenne et un télé objectif, ce qui fût le cas dés le début. Un jour pourtant, voulant changer d’objectif pour prendre une corniche du Palais de la Foire en contre-plongée, mon grand-angle m’échappe des mains et chute. Brisé et irréparable. Son absence ne m’a pas manqué. A l’usage, il s’est même avéré superflu. Par la suite, toutes mes photos ont donc été réalisées uniquement avec un objectif de 90 mm, ce qui a sans doute conforté l’homogénéité et la cohérence de mon parcours photographique.

Dans ses mémoires, une galeriste parisienne affirme « Ce qui différencie vraiment les photographes, c’est ce qu’ils voient ». Effectivement, un jour, après avoir fait une photo et marcher quelques pas, en me retournant, j’aperçois plusieurs personnes qui se contorsionnent en tous sens pour tenter de voir ce que j’ai pris en photo (… inquiètes d’une anomalie non règlementaire ?).

Un autre photographe m’a aussi affirmé qu’une photographie doit être entièrement composée d’un dégradé de gris, à l’exclusion du blanc et du noir total. A l’inverse, ce docte conseil m’a alors plutôt incité à intégrer dans mes images des éclats de blanc pur, une lumière crue comme celle que l’on trouve dans certaines peintures de De Chirico ou des romans d’Albert Camus. J’appréciais cette ambiance surréaliste que j’ai également tenté de traduire avec des vues d’édifices Art Déco, comme le TNP et les gratte-ciel de Villeurbanne. J’ai toujours été fasciné par la capacité de ces bâtiments des années 30 à capter avec subtilité la lumière naturelle.

Au détour du siècle, j’ai néanmoins dû renoncé à la prise de vue telle que je la pratiquais depuis plusieurs décennies, en arpentant les rues au hasard pendant des heures. Victime d’une maladie neurologique qui me posait des problèmes d’équilibre quand je regardais à travers l’oeilleton de l’appareil photo, ou pour extraire les tirages des différents bains dans le labo, j’ai dû interrompre alors ma production argentique.

Mais, quelques temps plus tard, ma quête de lumières remarquables s’est néanmoins poursuivie avec un appareil numérique. En visitant des expositions, dans les musées et les Centres d’Art , sensible à la qualité spatiale de ces lieux, mon attention est souvent attirée par leur ambiance lumineuse quand elle est soulignée par les rayons du soleil.  Maintenant, je me munie donc  toujours de mon appareil quand je visite un musée et je regarde attentivement les murs et les cimaises entre les oeuvres, au dessus ou plus loin. Ainsi, cela reste un plaisir de capter, l’espace d’un instant, une lueur fugitive.

                                                                            Y.H. Février 2021






























Pont de Neuville

















































































Série Montessuy

Pignon & corniche

































































Fibres minérales




































 Edifices
























HLM Clos Jouve





















































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L'ouest








Les marais salants...









 






































OUESSANT














Port de Brest




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"Le petit pan de mur blanc"

Il ne faudrait pas parler longuement d'une oeuvre patiente. Il faudrait écrire rare pour une oeuvre dépouillée. Il faudrait contempler longtemps une oeuvre qui ne doit qu'à elle-même sa présence irrécusable. Yannig Hedel, photographe-dessinateur, montre simplement une oeuvre qui exprime supérieurement l'ordinaire.
Dessinateur ? Peut-être même coloriste... mais coloriste du blanc ! tout son travail typiquement photographique, puisque lié à la lumière, à la douceur, à la dureté du blanc, a cette patience du dessinateur, patience sans illusion qui s'attarde à analyser le visible, qui ne se satisfait pas des riches aspects du réel, mais qui justifie cette réalité (souvent modeste et ... murale) et qui la sacre. Photographe de la nuance de l'éclat de telle ou telle heure, il réitère sans fin cette sacralisation, car c'est quelqu'un qui n'a pas besoin de beaucoup d'espace ; silencieux et grave, il accueille l'unité de la réalité et de l'infini intérieur : Yannig Hedel officie là où les apparences s'effacent devant la forme secrète. Face à cette recherche photographique posée sur un équilibre stable dû à la transgression du médium mais aussi à la soumission à la réalité, le photographe ne dit pas : "Je cherche la beauté...", mais "C'est un petit pan de mur ... ou, c'est une cheminée.." alors que le spectateur regardait un merveilleux dessin abstrait. Ici se pose la question centrale largement débattue pour la peinture abstraite : le merveilleux y existe-t-il ou est-il une idée qui échappe au sens ? En d'autres termes, y-a-t-il quelque chose de plus qu'une forme pure dans une oeuvre abstraite?  Si en photographie, la forme est une sorte de justesse visuelle opposée à une validité seulement intellectuelle, il y a encore deux tendances irréprochables, celle qui soutient qu'il n'y a pas de mystère dans une forme et celle qui ne peut comprendre de quoi il retourne et à qui ce vide de mystère fait peur. Yannig Hedel, artiste philosophe, essaie de "se libérer" du poids écrasant du modèle (tel instant très précis s'inscrivant au coeur des pierres des villes) pour lui donner son expression autonome dans un instant de son apparence, mais pour lui, rien n'est justifié, rien ne sert, il lui importe juste qu'il fasse ce qu'il doit faire.

   Madeleine Millot-Durrenberger  , Mai 1993.



Déjeuner chez Madeleine (Strasbourg)



A Small Section of a White Wall
One should not speak at length about a patient work of art. On should describe it shortly and contemplate the work, whose incomprehensible presence is its own achievement. Yannig Hedel, a photographer – drawer, presents us the ordinary in a perfect way.

Does he draw ? Does he use colour ? – Yes, white. All his photographic works are connected with light, softness and hardness of whiteness; they show the patience of the artist, patience without illusions, patience which slowly analyses the visible; which is not satisfied with the richness of the real, but witch justifies and sanctifies the modest reality. The photographer ceaselessly repeats the sacralization ; in silence and seriously he accepts the unity of reality and inner infinitude. Yannig Hedel celebrates the occasion when the appearances give way to a secret form.
The artist does not say : “I am searching for Beauty” but : It is a small piece of a wall” or “It is a chimney”. What the viewer, however, perceives, is a marvellous abstract design. Here we should pose a basic question concerning abstract painting : does the marvellous exist or is it only an idea which escapes our senses ? If in photography the form is a kind of visual precision opposing the purely intellectual truth, then there are two various answers the question. The advocates of one theory say that there is a mystery in the form, while the supporters of the other theory do not understand the source of photographs and afraid of the void of the mystery.
Yannig Hedel, artist – philosopher, tries to liberate himself from the oppressive weight of the model (e.g. a precisely defined moment inscribed in the heart of city stones) In order to give it autonomous expression at the very moment of its appearance. For the artist himself there is nothing justified, he only desires to fulfil his task.

Madeleine Millot-Durrenberger (Translated by Anna Rojkowska)